Sexisme en médecine: une violence qui date depuis bien longtemps

La médecine est une science qui a été utilisée plusieurs fois par les institutions systémiques, pour procurer un alibi à et renforcer l’oppression des gens d’une “origine” ou d’une couleur différente. Très connues sont les théories selon lesquelles les africains auraient un cerveau plus petit que les européens, ou sur leur construction corporelle qui soit disant les destinerait à des travaux physiques dures. Des théories similaires ont aussi été développées sur les femmes et même aujourd’hui la médecine ne s’est toujours pas débarrassée du sexisme: une approche partielle est souvent adoptée.

Sexisme en médecine: une violence qui date depuis bien longtemps
Lewis Hine, Jeunes ouvrières aux Beeb mills, Mason, Georgia, 19 janvier 1909

Dans cet article, nous allons seulement aborder certains aspects de cette thématique très large, dans un effort d’en donner une image préliminaire, en commençant par un retour aux Etats-Unis du 19e siècle, pour aboutir à des problématiques contemporaines.

19e siècle: Quand la médecine a construit la base “scientifique” du rôle social de la femme aux Etats-Unis [1]

C’est au 19e siècle que la médecine fait ses débuts. Le progrès des autres sciences, les inventions de nouveaux outils et la systématisation des procédures d’examen et de diagnostic ont ouvert la voie à son évolution. Pendant ce temps, les contradictions de classes aux Etats-Unis étaient très prononcées, et cela était évident aussi pour les femmes: d’un côté, les femmes riches de la classe bourgeoise, et de l’autre les femmes pauvres de la classe ouvrière. La reproduction de la société nécessaire pour les besoins du capitalisme, passait par le contrôle des femmes de toutes les deux classes, quoique les femmes de la classe ouvrière étaient clairement plus opprimées et exploitées.

La morbidité “naturelle” des femmes riches

Le rôle social accordé aux femmes de la classe bourgeoise américaine était essentiellement de renforcer et confirmer la position sociale de leur mari. Une femme passive, silencieuse et sans autres intérêts à part de créer un abri chaleureux familial pour son mari, où il serait protégé du monde extérieur dur, auquel bien sûr elle ne participait pas – voilà le modèle exemplaire de la femme bourgeoise dans la société du 19e siècle des Etats-Unis, entièrement contrôlée par les hommes.

Ce rôle, qui commence à être mis en question par le mouvement pour le droit au vote et les luttes des femmes pour l’égalité, avait besoin d’être soutenu, afin qu’il puisse continuer à constituer une partie du statut social et à être consolidé comme une norme. Les scientifiques systémiques de la médecine ont contribué considérablement à cet oeuvre, en créant un récit médical qui confirmait “scientifiquement” le rôle social de la femme. Ce récit, soutenu par des hypothèses non prouvées et souvent ridicules comme on le verra par la suite, disait que les femmes souffrent d’une morbidité innée par leur nature, qui les rend faibles, et par conséquent elles devraient éviter les activités intenses physiques ou mentales, car ces activités représentaient un risque pour leur santé. La base théorique du récit se trouvait dans une distortion du “principe de conservation de l’énergie”, et acceptait comme axiome le fait que tout corps possède une quantité concrète d’énergie, distribuée parmi les organes, qui donc se mettent en compétition pour cette quantité!

Cette théorie a été établie à tel point qu’il a été reconnu que l’éducation supérieure ménaçait les “capacités reproductives” de la femme, puisque le cerveau demanderait une grande quantité d’énergie qu’il “aurait volé’ à l’uterus, cet organe hyper-sensible et hyper-demandeur d’énergie (Sex in Education, 1873, Edward Clarke, Harvard University). Les instructions médicales, donc, pour une femme bourgeoise étaient l’inaction, le répos et les activités physiques et mentales legères, comme la coûture. Et tout ça bien sûr, pour préserver le bon fonctionnement de ses organes reproductifs, qui garantissait la réussite de l’objectif ultime de son existence: la maternité.

Femmes travailleuses aux Etats-Unis: le bouc émissaire de la santé

En même temps, le système capitaliste était obligé de gérer les femmes travailleuses. Pendant cette période de la révolution industrielle aux Etats-Unis, plusieurs femmes et enfants de la classe ouvrière travaillaient 14 heures par jour sous des conditions horribles, entassées dans des usines mal aérés (dans la majorité des cas, des usines de textile), pour des salaires vraiment trop bas. A cause de la pauvreté, ils n’avaient pas un large choix pour leur logement et la plupart des familles vivaient dans des appartements pas chers dans des bâtiments de mauvaise qualité, où parfois plus de 10 familles partageaient une toilette. Bien évidemment, ces logements étaient une source de tuberculose, choléra et fièvre jaune. Les conditions de vie inhumaines, la dégradation physique en résultat des longues heures de travail auxquelles s’ajoutaient les tâches ménagères et les soins aux enfants, ainsi que la mauvaise hygiène, épuisaient les femmes de la classe ouvrière, qui étaient souvent blessées ou malades.

Pourtant le système capitaliste exigeait de ces femmes qu’elles s’adaptent aux rythmes épuisants de la production, et le récit de la morbidité innée ne trouvait pas d’application dans leur cas. Au contraire, elles devaient être fortes et résistantes sans le soutien de soins médicaux et pharmaceutiques, lesquelles bien sûr l’état ne financerait pas.

A part le problème réel de leur propre survie, le niveau mauvais d’hygiène de la classe ouvrière la stigmatisait en tant que danger pour la santé publique. Plusieurs femmes ouvrières travaillaient comme servantes ou cuisinières chez les familles bourgeoises. Les riches étaient au courant des conditions de vie de la classe ouvrière, et traitaient donc ces femmes comme des sources de contamination, de maladies et de microbes. Ils allaient jusqu’au point de considérer comme contaminants, même les vêtements cousus par des artisans familiaux, puisqu’ils pourraient porter des microbes dangereux pour leurs maisons propres. Ils ne se souciaient pas du tout bien sûr de la santé des pauvres qui devraient être protégés, et ne les considéraient pas comme victimes de l’exploitation de classe. Les bourgeois se considéraient des victimes eux-mêmes, parce qu’ils étaient obligés de se protéger contre les pauvres et leurs maladies.

L’instrumentation de la médecine aujourd’hui

La médecine est une science située entre la biologie et la politique sociale, et c’est pour cette raison qu’elle est instrumentée même aujourd’hui par le système, qui institutionnalise la discrimination et l’exploitation “pour notre bien-être”. Elle devient un outil qui façonne la législation du travail (les gens sont capables de travailler jusqu’à telle âge, le seuil de la retraite est posé en fonction; les gens sont capables de travailler X heures par semaine et de faire tels types de travail etc). La médecine est par conséquent utilisée par les gouvernements, quand ils veulent augmenter l’âge de la retraite ou d’éliminer certaines allocations. Elle est aussi utilisée pour la fabrication et la conservation des rôles genrées dans notre société patriarcale.

Pour citer un exemple, jusqu’à il y a 50 ans, l’Association américaine des psychiatres donnait son avis public sur l’orientation sexuelle des gens et classait l’homosexualité parmi les maladies mentales. Jusqu’à ce moment-là alors les personnes LGBTQ et non-binaires, dont le genre constitue une menace pour la famille nucléaire, étaient officiellement considérées comme mentalement dérangées.

La vision sexiste de la médecine contemporaine – l’exemple de l’infarctus

En ce qui concerne la santé de la femme, l’establishment médical adopte une vision sexiste à plusieurs niveaux – bien sûr beaucoup moins qu’il y a 50 ou 100 ans. Les différences des deux sexes sont importantes, que ce soit en ce qui concerne les organes ou les cellules, pourtant la recherche sur la santée de la femme est très marginale et beaucoup moins financée.

Aux Etats-Unis, la première cause de mort pour les femmes est l’infarctus. En Amérique du nord, en Europe, en Asie et en Australie, les femmes des couches socio-économiques plus basses ont 25% plus de chances d’en être touchées que les hommes de la même couche; les femmes ont deux fois plus de chances de mourir pendant l’hospitalisation que les hommes.

La recherche médicale concernant le diagnostic, la prévention et le traitement des maladies, a été développée à la base avec l’homme comme point de référence. Dans le cas de l’infarctus, les symptômes chez les femmes sont très différents que chez les hommes. Et c’est pour cette raison que la plupart des fois ils ne sont pas identifiés. Les symptômes des femmes sont souvent caractérisés d’”atypiques”, une caractérisation qui, selon le “British medical journal” peut mener à la sousestimation du danger et à un mauvais diagnostic. Même aujourd’hui, les instructions du Système national de la santé des Etats-Unis définient comme un symptôme “typique”, la douleur aiguë à la poitrine, qui est également un des critères de base pour l’hospitalisation dans un centre médical spécialisé. Pourtant ce symptôme n’apparaît pas souvent chez les femmes! Beaucoup de femmes, surtout jeunes, ont comme symptômes d’infarctus, mal à l’estomac, difficulté de respirer nausée et fatigue, mais pas la douleur en poitrine. Et c’est ainsi qu’on peut expliquer le fait que 75% des personnes hospitalisées dans ces centres spécialisées en Grande Bretagne, c’est des hommes.

Un autre signe de la recherche déséquilibrée est le fait que certains des modèles de prévention les plus largement utilisés, pour le syndrome coronarien aigu, ont été développés sur un groupe de patients dont les ⅔ étaient des hommes. L’Association américaine du Coeur a noté que cela est inquiétant, puisque les conséquences de ces modèles chez les femmes ne sont pas “suffisamment analysées ».

Le fait que la médecine se développe basée sur le corps masculin, se reflète aussi sur les moyens de diagnostic des problèmes cardiaques. Par exemple, l’angiographie traditionnelle est un outil pour localiser les artères bouchées, un effet qui n’est présent du tout chez les femmes.

L’histoire de la médecine “andro-centrique” a des racines tellement profondes que le patriarcat. En Grèce antique par exemple les ovaires étaient considérés comme des testicules amputés – et femme un homme amputé ! Pendant des siècles, les études en médecine et leurs pratiques ont été façonnées à la base de cette théorie, et l’étude de la biologie et anatomie féminine est restée dans le noir. C’est remarquable que les ovaires n’ont été découverts et nommés qu’au 17e siècle.

Le sexisme aujourd’hui est certainement beaucoup moins présent dans les études médicales, mais on doit noter ses aspects moins évidents. Des études menées par des universités aux Etats-Unis, au Canada et en Europe, ont dévoilé le fait que les images des hommes sont utilisées trois fois plus que celles des femmes, pour la représentation des “parties du corps humain neutres”. Aussi, les programmes d’études comprennent un nombre très bas de cours concernant la santé féminine.

Selon une étude menée dans les hôpitaux américains, les docteurs donnent des antidouleurs beaucoup plus immédiatement et rapidement aux hommes qu’aux femmes, entre autres parce qu’ils considèrent que les femmes exagèrent à leur description de la douleur qu’elles ressentent. Dans le cas d’un mal au ventre, les hommes reçoivent un médicament en moyenne suite à 49 minutes d’attente, tandis que les femmes doivent attendre en moyenne 65 minutes.

La dévalorisation immense des douleurs des règles

Un autre exemple caractéristique du manque de recherche sur la santé des femmes, sont les douleurs dont les femmes souffrent pendant les règles, la dysménorrhée. John Guilebaud, professeur de santé reproductive au University College London, a déclaré en 2016 lors d’interview, que les dernières recherches montrent que les douleurs des règles peuvent être aussi fortes que les douleurs d’un infarctus. Et pourtant la recherche autour de ce sujet et comment en soulager les femmes, est très limitée. Ces douleurs sont considérées comme une partie intégrale de la nature féminine et de la possibilité de maternité.

C’est une vision qui, entre autres, sert au système en protégeant les employeurs et en en exemptant l’état de ses responsabilités de providence. Malgré le fait qu’un grand nombre des femmes souffrent de ces douleurs, prendre congés pour cette raison est impensable; beaucoup de femmes sont obligées d’aller travailler tout en étant dans la souffrance, parce qu’elles ne peuvent pas perdre le salaire ou s’absenter du travail sans en avoir des conséquences graves.

Sexisme et contraception

La sousestimation de la santé des femmes est aussi évidente dans la recherche concernant la contraception, qui est aussi mal équilibrée parmi les deux genres, mais dans ce cas-ci focalisée sur la femme: comme c’est elle qui tombe enceinte, on considère que c’est elle qui doit porter la responsabilité principale de la contraception. La communauté scientifique refuse de donner le feu vert pour la production de pilules contraceptives pour les hommes, parce qu’elles ont certains contre-effets. Mais les femmes sont obligées de vivre avec ces contre-effets depuis des décennies.

C’est clair que beaucoup de femmes ne feraient pas confiance aux hommes pour qu’ils se chargent de la contraception; et ça a du sens, puisque ce sont elles qui vont payer (en partie ou entièrement) le prix d’une grossesse non-désirée. Mais cela ne peut pas être une excuse pour une approche sexiste de la part de la communauté scientifique médicale et des entreprises pharmaceutiques. C’est tout récemment que la deuxième phase des essais cliniques pour des pilules contraceptives pour hommes a été interrompue, parce que des contre-effets ont été identifiés. [2] Il s’agit de contre-effets pareils ou identiques à ceux qui sont observés à plusieurs pilules contraceptives pour femmes déjà en circulation, comme par exemple la parution d’acnée ou des sautes d’humeur.

Pour un mode sans “codes de conduite”

Il est important de souligner que nous ne pointons pas du doigt exclusivement les scientifiques du secteur de la santé, comme responsables pour tout cela. Au contraire, ils ont les moyens de lutter collectivement depuis leur position, ensemble avec les travailleurs, les femmes, la communauté LGBTQI+ et toutes couches opprimées, contre ce système qui contrôle et dirige les organismes médicaux et la recherche scientifique vers ses profits.

C’est pour cette raison que nous continuons à lutter pour une société dans laquelle certains groupes de gens ne seront pas marginalisés, et qui ne nous imposera des codes de conduite par rapport à notre genre, mais qui valorisera sa puissance au profit de notre santé et de notre vie à tou.te.s.

_________________________

[1] Παθήσεις & Διαταραχές- Φύλο,Ιατρική και Ασθένεια, ΤΕΦΛΟΝ & Αρχείο 71, 2016
[2] npr.org: Male Birth Control Study Killed After Men Report Side Effects

Recent Articles