La Grèce, nouvelle batterie pour l’Europe?

Eva Betavatzi, du CADTM

Le gouvernement grec actuel mène une politique qui vise à l’extraction des ressources naturelles du pays au bénéfice de compagnies privées, grecques ou étrangères, au détriment de tous les êtres humains et non-humains présents sur le territoire.

Le nouveau productivisme « vert »

Agrafa est une zone montagneuse située à quelques kilomètres au Nord de Patras. Les crêtes des montagnes font partie du réseau Natura 2000. Or, le gouvernement grec y prévoit l’implantation de 530 aérogénérateurs de 150m de hauteur, soit un ensemble de parcs éoliens industriels qui devrait couvrir 80 % des sommets de la région. Ce projet colossal bénéficiera surtout aux filiales de la très grande entreprise de construction Ellaktor SA. En septembre 2019, des actions de blocage avaient été organisées pour stopper les premiers travaux de terrassements sur les crêtes, le gouvernement grec avait alors réagi en envoyant sa police pour escorter les bulldozers et encercler la zone. Depuis lors, plusieurs manifestations ont été organisées dans les montagnes d’Agrafa, à Karditsa et à Athènes, pour réclamer l’arrêt immédiat des travaux. Chacune d’entre elles a été fortement encadrée par les forces de l’ordre. Certain·es opposant·es sont aujourd’hui poursuivi·es en justice pour leurs actions.

Les parcs éoliens s’implantent un peu partout en Grèce dans les îles et sur le continent. D’après les membres de la plateforme « Save Agrafa », plus de 16.000 demandes introduites à ce jour concernent des aérogénérateurs d’une hauteur supérieure à 100 m, et 73 % des territoires concernés par ces demandes sont des zones naturelles protégées, des îles, des forêts, des crêtes de montagnes. Au nom de « l’intérêt général », des zones Natura 2000 ont littéralement été offertes par le gouvernement grec à des compagnies privées pour qu’elles puissent y implanter leurs parcs éoliens, leurs barrages hydroélectriques et leurs panneaux solaires ainsi que toute l’infrastructure qui les accompagne (réseau de câblages à haute tension, routes, transformateurs, …). Ainsi, la prétendue transition énergétique se traduit par l’augmentation de la productivité soi-disant « verte » d’énergie, qui vient simplement s’ajouter aux autres, la privatisation et l’accaparement de territoires collectifs, ainsi que la bétonisation et plus largement l’industrialisation de territoires vivants jusque-là préservés. Cette prétendue « transition » n’est pas écologique, elle incarne une vision néolibérale qui ne peut que promouvoir des projets productivistes destructeurs plutôt qu’une diminution et une décentralisation énergétiques. De nombreuses organisations environnementales, communautés locales et militant·es écologistes s’opposent à ces projets imposés à travers le pays.

Projets éoliens en Grèce (licences d’installation, d’opération, de production et en cours d’évaluation), source : Autorité de régulation de l’énergie (RAE)

Certaines régions de Grèce sont traversées par des vents forts, un cadre qui semble idéal pour la production d’énergie éolienne, d’autant plus que deux tiers de la production électrique actuelle du pays repose sur les combustibles fossiles (63,1 % en 2019 [1]). Néanmoins, l’exploitation industrielle du vent imposée par le gouvernement grec et l’UE, se développe comme un projet extractiviste classique : exploitation d’une ressource locale et commune sans aucune concertation avec les habitant·es et les pouvoirs locaux, accompagnée d’investissements importants du gouvernement central au bénéfice d’entreprises privées nationales ou multinationales. En 2018, l’UE avait déjà octroyé 2,8 milliards d’euros à la Grèce, majoritairement sous forme de prêts, pour le développement de l’industrie éolienne. Une partie de l’argent du programme NextGenerationEU lui est également consacrée [2]. En juin dernier, le Ministre de l’Énergie annonçait un budget d’1 milliard supplémentaire pour la transition « verte » [3], qui inclut d’autres développements que les parcs éoliens. C’est 10 fois plus que le budget pour la santé.

Le discours dominant est largement en faveur de l’industrie éolienne dont le développement n’est jamais critiqué, malgré l’absence de concertation avec les populations locales, la privatisation de territoires protégés, la destruction d’écosystèmes et les bénéfices engendrés par de grandes compagnies privés. Les médias alimentent le faux débat qui oppose le développement des énergies dites renouvelables à celui des énergies fossiles, comme si la question de l’industrialisation des territoires n’avait pas lieu d’être, comme si les opposant·es aux projets éoliens industriels n’aimaient tout simplement pas les aérogénérateurs et préféraient les énergies fossiles. C’est évidemment faux.

Les médias refusent également d’évoquer l’impact des infrastructures éoliennes de taille industrielle sur les petits commerces, le tourisme, les activités agricoles, les paysages et l’environnement, ignorant ainsi les milliers de vie, humaines et non-humaines, qui seront ou sont déjà affectées. De telles infrastructures ne sont pourtant pas écologiquement soutenables. La manière dont les éoliennes sont produites, leur durée de vie limitée, les infrastructures routières et de câblages nécessaires pour leur acheminement et la distribution de l’énergie produite, les conséquences environnementales de leur implantation et celle du stockage de l’énergie ne sont pas débattues. Les développements industriels éoliens s’inscrivent dans la continuité de la logique productiviste, avec toutes les exigences de quantité et de centralité que cela implique. L’inverse d’une transition énergétique, qui serait pourtant plus que nécessaire.

Ainsi, au-delà des aspects proprement écologiques, il est important de souligner le caractère anti-démocratique de ce type de développement. Une production énergétique décentralisée, localisée et gérée par les habitant·es, usagers et usagères, qu’elle soit éolienne ou d’une autre nature, devrait faire partie des solutions à envisager. Aussi, la réduction massive de notre production énergétique doit être mise urgemment au centre des débats.

Les compagnies étrangères restent invariablement les premières bénéficiaires de l’industrie éolienne. Ainsi, dans les Cyclades, on retrouve Schneider Electric, Acusol, Siemens et Tesla. La classe dirigeante de l’UE profite doublement du développement de cette industrie en Grèce, d’abord parce qu’elle permet à ses compagnies de développer leurs activités dans le pays, ensuite parce que grâce aux financements (majoritairement des prêts) octroyés à la Grèce, une part importante de l’énergie produite sera distribuée vers le continent, ce qui permettra aux autres pays de réduire leur propre empreinte carbone. Les opposant·es à ces projets prennent conscience que la Grèce est en train de devenir la batterie de l’Europe.

Le désastre écologique en cours est lié à la crise de la dette publique

Depuis plus d’une décennie, la Grèce doit rembourser une dette colossale à ses créanciers, une contrainte qui motive les gouvernements successifs à couper dans les dépenses publiques pour certains secteurs essentiels (santé, éducation, transports publics, … mais pas pour la police et l’armée) et à trouver des moyens d’augmenter leurs recettes. Les secteurs productifs du pays ne sont pas nombreux, ne se portent plus très bien, et sont loin de satisfaire les créanciers. L’augmentation de la dette publique grecque et l’exigence de son remboursement ont creusé un faussé qui explique en partie cette euphorie étatique pour les énergies renouvelables et fossiles. Comme pour les pays du Sud global, la Grèce s’est donc engagée dans la voie de l’extractivisme intensif. Le soleil, le vent, le gaz fossile, le charbon, l’or, sont les principales ressources extraites du sol et du ciel grec.

Aujourd’hui le ratio dette publique par rapport au PIB est de 206,20 % – 354 milliards d’euros – le plus haut taux que le pays n’ait jamais connu. Pour rappel, en 2009, après révision frauduleuse des statistiques [4], le taux d’endettement était à 127 %. À l’époque, on disait de la Grèce qu’elle était « au bord de la faillite ». Aujourd’hui le gouvernement s’endette en se vantant de pouvoir « enfin » le faire sur les marchés financiers, ce qui manifeste d’une situation à la fois absurde et tragique. Absurde car la plupart des pays des Suds s’endettent aujourd’hui sur les marchés privés, le gouvernement grec n’a donc pas de quoi se vanter, et tragique car les créanciers privés sont les moins enclins à négocier les conditionnalités des prêts qu’ils octroient, que la dette augmente férocement et que la capacité de remboursement du pays dans l’avenir est loin d’être certaine.

Source : Agence de gestion de la dette publique, 30 septembre 2021
https://www.pdma.gr/en/public-debt-strategy/public-debt/composition-of-debt/maturity-profile-en

Effets sociaux et environnementaux des coupes budgétaires

Au-delà des effets environnementaux, les mesures d’austérité, qui découlent des accords du pays avec les créanciers, ont eu des effets sociaux néfastes sur la population grecque. Il est important de rappeler les coupes dans les retraites, l’augmentation du chômage [5], la crise du logement, les atteintes au droit du travail, mais aussi les nombreuses coupes budgétaires notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé (secteur pour lequel les dépenses représentent un tiers de moins que la moyenne européenne, soit 5 % du PIB). La Grèce n’a reçu que 100 millions d’euros d’aide en 2021 pour la santé alors que le secteur avait subi des coupes plus importantes les années précédentes. En 2020, l’économie est entrée dans une récession plus profonde qu’estimée initialement, à cause des effets de la pandémie, ce qui a contribué à accentuer les effets sociaux négatifs du processus austéritaire enclenché depuis plus d’une décennie même si le gouvernement actuel joue avec les chiffres du taux de croissance pour rassurer les marchés.

Les mesures d’austérité ont également contribué à la propagation des incendies de l’été 2021 qui ont détruits 120.000 hectares de terres, des milliers de maisons, des petits commerces, des lieux publics, etc. Le Nord de l’île d’Eubée a été complètement ravagé alors que les projets éoliens prévus là n’ont pas encore été suspendus. Ces incendies ont été considérés comme le seul résultat de la crise climatique par le Premier ministre, sans qu’il ne fasse mention des coupes budgétaires directement liées. Celles-ci ont touché les autorités forestières – dont le budget total s’élève aujourd’hui à 1,7 millions alors que les forêts recouvrent 1/3 du pays – mais aussi les services de protection incendie. Les opérations sont structurellement sous-financées depuis des années et les services forestiers et de protection incendie souffrent d’un manque criant d’effectif et d’équipements.

Le désastre écologique qui a touché l’île d’Eubée ainsi que d’autres régions de Grèce dont l’Attique (région d’Athènes) n’a pas permis une remise en question de ces politiques austéritaires alors qu’elle s’avère nécessaire pour éviter et minimiser les prochains désastres. Au contraire, le gouvernement continue dans sa lignée néolibérale et prévoit un programme de reboisement, contesté par certains experts, en sollicitant le secteur privé ou les partenariats public-privé. L’investissement privé comme modèle de développement constitue indéniablement une menace pour les espaces naturels. Une loi, dite « anti-environnementale » par ses nombreux et nombreuses opposant·es, votée en catimini en plein premier confinement en pose les fondements.

La loi anti-environnementale, socle d’un projet extractiviste imposé

La loi anti-environnementale a été votée en catimini le 5 mai 2020, en plein confinement, alors que la présence parlementaire lors des plénières et des commissions était restreinte et les auditions limitées. Quelques semaines plus tôt, 23 organisations environnementales avaient réagi au projet de loi, avec plus de 1.500 remarques, ignorées du ministre de l’Environnement et de l’Énergie, Kostas Hatzidakis. Soixante mouvements et collectifs ont ensuite réclamé le report du vote parlementaire étant donné la crise sanitaire, et exigé qu’un processus de concertation soit engagé dans le but d’une révision profonde, voire d’un retrait total du projet. La loi a finalement été adoptée sans modifications, en dehors de toute considération démocratique, la droite au pouvoir bénéficiant d’une majorité parlementaire.

Outre son caractère anti-démocratique, ce qui caractérise le plus cette loi est la menace qu’elle représente pour la biodiversité en ignorant les cadres législatifs de protections existants : elle autorise les infrastructures dans des zones protégées Natura 2000, facilite l’appropriation, l’exploitation et l’utilisation de forêts, montagnes, collines, zones humides, cours d’eau, … par des groupes privés, facilite également l’octroi de permis via la privatisation des contrôles des études d’incidence environnementale, autorise l’extraction de matières premières et d’hydrocarbures, et supprime le pouvoir des autorités locales. Elle encourage le développement de l’industrie des énergies renouvelables, notamment éoliennes, de manière disproportionnée et non-écologique. Aussi, elle ignore la Constitution grecque (Article 24), les directives européennes (sur la protection des habitats et des espèces 92/43/CEE, sur la protection des oiseaux sauvages 2009/147/CE, sur les eaux 2000/60, sur la stratégie marine en Méditerranée 2008/59) et les conventions internationales (Convention de Ramsar sur les zones humides, Traité de Barcelone pour la protection de la Méditerranée) [6].

En bref, cette loi constitue l’incarnation de ce que le néolibéralisme fait aux écosystèmes.

La contestation contre la loi anti-environnementale n’a pas tardé à s’organiser. Une première pétition a été lancée au mois d’avril 2020 et a été soutenue à l’échelle internationale. Des mobilisations ont été organisées et ont rassemblé des foules dans les rues de la capitale en plein confinement. La veille du vote, un rassemblement important a eu lieu devant le Parlement grec malgré les strictes mesures imposées par le gouvernement. Il a donné suite à une occupation d’une centaine de personnes qui a duré 62 nuits. Ce mouvement d’occupation, « Oi Agripnoi » (Les Éveillé·es) [7], n’a pas échappé à la répression policière.

L’exploitation du gaz fossile pourrait mené à un conflit armé

Pendant que le gouvernement grec participe activement au massacre écologique en cours, que les crises sanitaire, économique et sociale s’approfondissent, le coût de la vie augmente de manière phénoménale, notamment avec les hausses du prix de l’énergie et du gaz de ces derniers mois. Le prix du fioul a augmenté de 46 % par rapport à l’année précédente en Grèce, celui du gaz de 48,5 %. Malgré des aides octroyées à la population, les politiques néolibérales se poursuivent dans le secteur de l’énergie avec notamment la privatisation de la compagnie d’électricité DEI [8]. Elle suit celles de Helllenic Petroleum et DESFA (Hellenic Gas Transmission Operator). Ces privatisations ont évidemment été décidées lors des mémorandums précédents [9] et n’ont depuis pas été remises en cause malgré la situation.

En parallèle Mitsotakis et ses ministres prévoient l’augmentation des dépenses militaires et du budget alloué à la police. Macron et Mitsotakis ont signé des accords pour l’achat d’équipement militaire lourd, le plus récent étant celui concernant des frégates françaises d’une valeur de 5 milliards d’euros, soit l’équivalent de 2/3 du budget alloué à la Grèce par le plan de Relance de l’UE ! Il a été signé en septembre dernier. Il y a quelques mois, Mitsotakis avait annoncé 11,3 milliards d’euros de budget pour le renforcement de l’armée sur les trois prochaines années, faisant du pays le premier sur la liste des pays de l’OTAN en dépenses militaires par rapport au PIB. Les priorités politiques, à l’heure où nous traversons une crise multidimensionnelle profonde, ne pouvaient pas être plus à l’opposé de l’intérêt commun. Pour les éviter, il aurait fallu renoncer à l’extraction de gaz fossile en méditerranée orientale.

En effet, ces dépenses sont justifiées par le conflit pour l’instant froid qui oppose la Grèce et Chypre à la Turquie voisine et contribuent à l’augmentation de la dette illégitime du pays. En mer Égée et Ionienne, la Grèce regorge de ressources gazières ce qui n’est pas sans intéresser de nombreuses compagnies étrangères telles que Total, ENI, Exxon Mobil, Energean, Repsol et bien d’autres qui ont déjà signé des accords d’exploitation. Durant l’été 2020, le gouvernement d’Erdogan, très en colère de ne pas profiter des ressources gazières, annonçait sa volonté de remettre en question ses frontières maritimes avec la Grèce en passant un accord avec la Lybie, alors que la Grèce passait elle des accords avec Chypre, l’Égypte et dans un autre cadre Israël.

Les compagnies étrangères seront les premières bénéficiaires de ces exploitations au détriment des peuples grecs, turcs et chypriotes qui en subiront tous les coûts et dans le pire scénario, un conflit armé qui pourrait émerger de cette bataille pour les hydrocarbures. Plusieurs plateformes militantes se sont ainsi constituées ou exprimées contre ces projets. On peut citer notamment une initiative tri-communautaire qui réunit turc·ques, grec·ques et chypriotes sous le nom « Don’t dig » (Μας σκάβουν τον λάκκο – Kazma Birak) [10], ou encore « Save Greek seas » qui avait lancé une pétition en 2020 contre l’exploitation d’hydrocarbures en mer Ionienne [11].

Ces mouvements de contestation n’ont malheureusement pas encore de moyens suffisants pour faire face à la colonisation par la dette qui se déploie à vive allure dans les pays du Sud-Est de l’UE. Ces pays s’endettent pour rembourser leurs créanciers et implanter des infrastructures qui servent les bénéfices d’entreprises étrangères provenant des pays de ces mêmes créanciers. C’est pour cette raison que l’audit des dettes publiques par les peuples, l’annulation des dettes illégitimes et la redéfinition radicale des priorités politiques est une condition sine qua non au ralentissement de l’aggravation des multiples crises et en particulier des crises climatique et sociale en cours.

Extractivisme minier : Eldorado Gold a repris ses activités minières en Grèce

Le 4 février 2021, le parlement grec approuvait la relance des activités de la mine d’or de Skouries initié par Hellas Gold, une filiale locale de l’entreprise canadienne Eldorado Gold, dans la région de Chalcidique au Nord du pays, en annonçant la signature d’un contrat d’exploitation. Cela a ravivé les souvenirs d’un mouvement d’opposant·es qui s’était constitué il y a quelques années et qui avait gagné une bataille importante lorsque Syriza avait décidé de stopper le projet minier en 2015 à cause de ses effets néfastes sur l’environnement, l’extraction aurifère étant particulièrement polluante et toxique.

L’annonce de la reprise marquée par la signature du fameux contrat entre les principaux intéressés (le gouvernement grec et Hellas Gold), a suscité l’enthousiasme des ambassades du Canada et des États-Unis qui n’ont pas manqué de saluer la nouvelle avec un communiqué commun [12]. Mitsotakis a bien tenu ses promesses puisqu’avant son élection, il s’était engagé à relancer l’activité minière de Skouries tout en exigeant que certaines « garanties » environnementales soient respectées. Après le vote de la loi anti-environnementale, Eldorado Gold et sa filiale grecque ont pu facilement offrir ces « garanties ».

En réalité le contrat signé entre le gouvernement et Hellas Gold, qui en constitue la base, représente une grave violation des lois et des dispositions européennes. Les dispositions de la Constitution grecque ont également été ignorées [13]. En réponse à ces accusations, l’actuel ministre de l’Environnement, M. Skrekas, successeur de K. Hatzidakis, a insisté sur l’augmentation des recettes publiques et des emplois pour défendre sa position, tout comme l’avaient fait les ambassades du Canada et des États-Unis dans leur communiqué commun. Le 18 mars dernier, la loi a finalement été votée, le parti Nouvelle Démocratie bénéficiant toujours d’une large majorité.

Les autorités locales et les mouvements sociaux ont de leur côté exprimé leur vive opposition au projet extractiviste du gouvernement et de l’entreprise Hellas Gold. Ils ont déclaré que le nouveau contrat ne les satisfaisait pas puisqu’il était largement en faveur de l’entreprise et contre l’intérêt public et ceux de la région. Ils ont annoncé également leur volonté de résister au projet en rappelant que les descentes de police, les menaces, les poursuites et les tribunaux n’avaient pas découragé la contestation il y a quelques années. Cela démontre que sur le terrain, la mémoire reste vive.

L’hypocrisie à son comble à la COP26

À l’occasion de la COP26, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis a annoncé, avec fierté, la poursuite du développement massif et autoritaire de l’industrie des énergies renouvelables, notamment éolienne, qui permettrait au pays de dépasser selon lui les objectifs de l’UE pour 2030 en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il n’a pas évoqué les contestations de la population, les répressions auxquelles elle fait face, les nombreuses magouilles législatives mises en œuvre par son gouvernement pour contourner les réglementations européennes en matière de protection de l’environnement, ni les destructions environnementales qui accompagnent les projets en cours d’installation. Il n’a pas évoqué non plus les gisements de gaz.

Mitsotakis a également annoncé, avec la même fierté, que l’énergie éolienne serait développée en mer jusqu’à ce que la production énergétique totale atteigne 2 gigawatts en 2030, ce qui est énorme ! Les accords que le gouvernement grec a passé avec l’Égypte pour que la région devienne un « hub » de l’énergie renouvelable pour l’Union européenne ont été présentées, ainsi que les négociations en cours avec l’Arabie Saoudite (premier exportateur mondial de pétrole qui investit maintenant dans le renouvelable).

Ces déclarations sont extrêmement inquiétantes. Le développement soi-disant « vert » de la production énergétique en Grèce, mais aussi chez les voisin·nes chypriotes et turc·ques [14], cache une nouvelle forme d’industrialisation masquée sous une panoplie d’adjectifs qui font désormais partie du jargon bien connu du greenwashing. Il est important de combattre toute logique productiviste, quelle que soit le nom qu’on lui donne, et de révéler l’hypocrisie profonde des discours des personnes à la tête de nos gouvernements. Il est également impératif de stopper toute forme d’extraction des gaz fossiles en méditerranée qui pourrait mener à une guerre. Les pays créanciers, et en particulier la France et l’Allemagne, ont d’énormes responsabilités vis-à-vis des peuples grec, turc et chypriote. Mitsotakis et son gouvernement ne font qu’enfoncer le pays dans la voie d’un nouvel ordre colonial peint en vert.


Merci à Marina Kontara, Camille Bruneau, Mats Lucia Bayer et Jérémie Cravatte pour leurs commentaires et suggestions.

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