Italie, travailleurs et jeunes contre le génocide

    Avec l’accord de Marco Veruggio, membre de ControCorrente, l’un des groupes italiens organisateurs (avec le NPA-Révolutionnaires) des conférences internationalistes qui ont eu lieu à Milan en 2023 et 2024 et Paris en 2025, nous publions ci-après la traduction française de l’article qu’il a consacré aux journées de grèves et de manifestations des 19 et 22 septembre, en Italie, en soutien au peuple palestinien et à la flottille en route pour Gaza (article initialement paru sur le site /Internationalist StandPoint). Voir aussi sur notre site l’article « Italie : grèves politiques et manifestations en soutien au peuple palestinien », publié le 24 septembre.

    Malgré les divisions au sein des directions syndicales, en Italie, la jeunesse et la classe ouvrière ont déclenché une mobilisation inattendue. Il s’agit maintenant de savoir ce que l’on veut tirer des effets de ce mouvement et de fournir un point de référence politique à ceux qui veulent mettre fin au massacre à Gaza.

    Ces derniers jours, les travailleurs italiens se sont mis en grève pour exiger un cessez-le-feu à Gaza et en soutien à la flottille mondiale Sumud. Malheureusement, la rivalité entre les bureaucraties syndicales de la plus grande fédération syndicale, la CGIL, et les syndicats de base les a empêchés de défiler ensemble. L’USB (Unione Sindacale di Base – Syndicat de base) avait appelé à une grève générale pour le lundi 22 septembre plusieurs semaines à l’avance, et n’a rien fait pour que la CGIL se joigne à elle.

    De son côté, la CGIL a décidé d’appeler à une grève générale trois jours plus tôt, le vendredi 19 septembre, mais à cause de la réglementation italienne sur les actions syndicales dans les services essentiels, tous ses membres dans des secteurs clés (transports, banques, collecte des déchets, services de santé) n’ont pas été autorisés à y participer.

    Néanmoins, la classe ouvrière italienne s’est montrée plus avancée que ses dirigeants. Le vendredi 19 septembre, des dizaines de milliers de travailleurs ont défilé dans les rues des grandes villes italiennes, avec une participation record à Florence (20 000), Livourne (10 000) et Gênes (5 000), où la direction de la CGIL a décidé de prolonger la grève de quatre à huit heures. Gênes est l’un des centres de soutien à la flottille. L’ONG Music for Peace a lancé une campagne d’aide pour Gaza dans le but de collecter 40 tonnes de fournitures à charger sur des navires, mais elle a dû suspendre son action après en avoir récolté 200 tonnes au bout de quelques jours seulement.

    Ces dernières années, les dockers de l’USB et de la Filt CGIL (fédération des transports de la CGIL), en collaboration avec leurs collègues français de la CGT, ont bloqué l’envoi de plusieurs cargaisons d’armes à destination du Moyen-Orient. Le dernier blocage, le 7 août, concernait le navire roulier saoudien Bahri Yanbu, qui avait accosté à Gênes pour charger à son bord deux canons navals fabriqués par Oto Melara (une filiale du groupe Leonardo, entreprise publique italienne de l’armement et l’un des leaders mondiaux dans l’aérospatiale, la défense et la sécurité). Une banderole déployée par la Fiom CGIL avec le slogan « Contre la barbarie de l’impérialisme, unité entre les travailleurs israéliens et palestiniens » a suscité à la fois des éloges et des controverses, et nous a donné, à ControCorrente-PuntoCritico, l’occasion d’intervenir dans les médias et d’expliquer pourquoi nous soutenons une approche internationaliste des questions relatives au Moyen-Orient. C’est ce que nous avons exprimé dans un débat avec Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires occupés, récemment sanctionnée par le gouvernement américain et aujourd’hui l’une des figures de proue du mouvement de solidarité avec la Palestine [Mme Albanese a critiqué la banderole de la Fiom dans un post Facebook, auquel PuntoCritico a répondu dans un article intitulé Pourquoi je suis d’accord avec la banderole de la Fiom]. Il y a quelques mois, après le lancement de Rearm Europe, les délégués de la Fiom de Leonardo, l’un des deux plus grands groupes de défense italiens, ont publié une déclaration affirmant que « nous répondrons toujours au grondement des canons par l’internationalisme. Et nous le disons également à notre syndicat CGIL ».

    Lundi 22 septembre, la grève générale de l’USB a rencontré un succès inattendu, tant en termes de participation que de composition sociale. Des membres de syndicats de base, mais aussi des plus grands syndicats, dont la CGIL, ont envahi les places, enregistrant des chiffres nettement supérieurs à ceux du vendredi 19 (le commissaire de police de Rome a qualifié la marche dans la capitale de « gigantesque » !). Comme mentionné, la composition de la manifestation était également significative : outre les travailleurs et les étudiants, il y avait des militants de divers horizons, des personnes ordinaires sans affiliation politique, des représentants du secteur associatif et du monde catholique, et même certains des acteurs et actrices les plus en vue du cinéma italien, qui s’étaient déjà mobilisés lors du récent Festival du film de Venise. Lorsque des manifestants ont occupé le périphérique Est de Rome, les automobilistes bloqués ont réagi en klaxonnant, en applaudissant et en scandant « Palestine libre ». Quelques heures plus tard, une centaine de prêtres ont même défilé « contre le génocide », une définition que le nouveau pape Léon XIV et l’Église catholique n’ont pas officiellement adoptée. Le lendemain, à l’occasion d’une réunion contre le massacre à Gaza et le plan de réarmement de l’UE, même le physicien Giorgio Parisi, lauréat du prix Nobel, a pris la parole depuis la tribune.

    La participation à la grève a également été importante. Au-delà des données officielles, qui ne sont pas toujours fiables en Italie, la gare centrale de Rome est restée fermée, tout comme la ligne ferroviaire Rome-Viterbe, et très peu de bus étaient en service. Dans certaines écoles de la région de Rome, on a enregistré des pics exceptionnels de 80 % de participation parmi les enseignants, une catégorie de travailleurs où l’USB est extrêmement faible. À Gênes, où, selon la presse, 20 000 personnes sont descendues dans la rue, 50 % des conducteurs de bus se sont mis en grève.

    Mercredi, après l’annonce de l’attaque contre la flottille, la mobilisation s’est relancée et la CGIL a publié une déclaration disant : « La CGIL s’oppose à toutes les guerres, cherche à mettre fin au génocide perpétré par le gouvernement de Netanyahou et soutient la mission humanitaire de la flottille Global Sumud. En cas de nouvelles attaques, de blocus ou de saisies de navires ou de matériel, la CGIL se tient prête à appeler à une grève générale avec toute l’urgence nécessaire », ce qui signifierait enfreindre les lois actuelles qui définissent les modalités d’appel à la grève. Nous verrons si, au moins cette fois-ci, les bureaucraties syndicales parviennent à éviter la scission.

    Après avoir atteint ces résultats impressionnants, la question est de savoir quoi en faire. Sous la pression de la guerre, l’état d’esprit de la population, y compris des jeunes et de la classe ouvrière, est en train d’évoluer. À certains égards, cette situation rappelle les manifestations contre la guerre du Vietnam – avec des différences évidentes, bien sûr.

    Sans repère politique – même au sein de la Flottille il y a des divergences sur la façon de répondre aux attaques –, les travailleurs et les jeunes ont intelligemment décidé de profiter des occasions offertes par les différentes organisations, comme nous l’avons vu lors des grèves générales, pour exprimer leur indignation face à ce qu’il se passe dans le monde. Pour tous ceux qui pensent que contre la guerre, la meilleure arme est l’internationalisme, le moment est venu de faire entendre leur voix.

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